
En la veille de la fête des Anges gardiens fêtée le 2 octobre
Tout est si doux
« L’automne est un deuxième printemps où chaque feuille est une fleur. »
Albert Camus
Par cet après-midi de septembre, le soleil illuminait chaque brin d’herbe, chaque feuille, chaque recoin du parc municipal où je me trouvais. Assise sur le banc placé sous un saule, je regardais autour de moi. La lumière de ce jour avait la coloration de l’automne, très apaisante, mélancolique aussi.
Je ressentais la joie du retour de cette saison. J’aime sa beauté qui est à elle seule un appel continu à l’intériorité. Rentrer au-dedans de soi, non pour y rester seule mais pour y rencontrer la douceur oubliée qui nous habite si souvent : telle est pour moi la grâce unique de cette période.
En totale immersion dans mon cœur avec le casque sur mes oreilles, j’écoutais un concerto pour violoncelle. Ainsi habillée de cette mélodie aux sons d’une grande gravité, la nature m’apparaissait encore plus onctueuse, plus belle encore. Imbibée de cette saveur souterraine que les feuillages illuminés infusaient en mon dedans, j’écoutais non sans allégresse les envolées, les arabesques du violoncelle dans mes tympans.
On aurait dit que les premières feuilles se jetaient sur la terre, extasiées, elles aussi, par la partition diffusée dans mon être.
C’est à ce moment précis, au moment où je me perdais dans la délectation de cet environnement extérieur d’une rare intensité, accompagné par la pureté d’une harmonie musicale, que l’extraordinaire se produisit.
Oui, croyez-moi, je ne vous raconte pas d’histoire. Il devait avoir à peine 5 ans, pas plus. Accompagné de sa grand-mère, l’enfant est venu vers moi. Je compris tout de suite à la vue des appareils placés sur ses deux oreilles, qu’il était sourd. Il s’approcha de moi, avec une voix suraiguë, propre à son âge, il me demanda :
— Est-ce que je peux caresser le petit chien ?
J’avais avec moi, en effet, placé sur mes genoux, mon petit bichon tout blanc.
J’opinais de la tête. Le garçon alors posa sa main sur mon petit compagnon. Il s’exclama :
— Il est doux ma…Ame ! Doux ! Si doux ! Vou…rais le caresser long…emps….
Je compris que n’ayant pas d’audition suffisante, son phrasé comportait quelques lacunes. Il ne s’entendait pas parler.
J’ôtais mon casque pour échanger avec lui.
Mais l’enfant n’entendait pas les quelques mots insipides que je lui balbutiais. Il restait là, comme hypnotisé par mon animal. Il ne cessait pas de le caresser en disant tout joyeux :
— Il est doux ! On vou…rait le caresser tout le temps !
Penché vers ma petite bête, il prolongeait, avec un réel plaisir, ses caresses. Emerveillé, il dévorait de son regard mon petit chien.
Soudain, il s’en alla avec la même rapidité qu’il était venu. Je l’entendis crier : « Il est si doux ! Il est si beau ! ».
Je frissonnais. Pour vérifier, je plaçais ma main droite dans le pelage de mon chien. « C’est vrai ».
Je replaçais mon casque sur les oreilles. La symphonie que j’écoutais n’avait plus du tout la même allure, je voyais s’élever dans le ciel, le visage pur de l’enfant. Par curiosité tout de même, j’avais demandé à la personne qui l’accompagnait, comment il s’appelait. Elle me répondit : « Angelo ».
Je fus prise alors d’une émotion intense. Ainsi il portait le même prénom que celui que j’avais donné à mon casque le jour où je l’avais acheté.
Mon Angelo atténuait les sons trop forts, pour éviter les surcharges sensorielles liées à mes particularités autistiques. Le petit Angelo, quant à lui, avait besoin de ces deux petites prothèses pour entendre mieux. Nous étions complémentaires en quelque sorte.
Le violoncelle ne parvenait plus à m’étreindre. Le petit, rencontré juste avant, venait de faire signe au chef d’orchestre. En lieu et place du violoncelle, je n’entendais plus que la psalmodie : « Il est si doux ! Si doux ! ».
Je contemplais de nouveau la lumière crépusculaire qui inondait toutes les fleurs, la prairie, les peupliers. J’avais l’impression que tous répétaient en chœur : « Tout est si doux ! Si doux ! ».
Je ne sais pas ce qui m’a pris, mue par la vibration que l’enfant avait placée dans mon âme quelques minutes auparavant, les yeux grands ouverts, je me décidais : Avec mon imagination, je détachais les rayons du soleil « Tu es si doux ! » puis, je posais mes mains sur le tronc du saule juste à côté : « Tu es si doux ! », je ramassais un morceau de bois : « Si doux ! ». Je fis de même avec une plume de canard, un brin d’herbe, une feuille encore étourdie par son saut périlleux.
« Tu as raison Angelo, tout est si doux ! ». Je ne saurai l’expliquer, parfois, les mots manquent, tout se transformait sous mon regard. On aurait dit que le paysage devenait une boule de coton immense que je pouvais saisir dans le creux de mes mains. Je n’avais plus qu’à souffler dessus, rire aux éclats puis chanter : « Tu es si doux ! ».
L’Automne n’est pas que la saison de la peine et du deuil, ni même uniquement la beauté de ses couleurs. Elle est d’abord douceur : Dans sa lumière, dans les cabrioles effeuillées, dans la pluie discrète sur les parterres étonnés….
Et dans la bouche des anges à la candeur enfantine.
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