La visiteuse

La visiteuse

 

Au fond du lit, dans la nuit obscure, sans dormir, les heures s’écoulent sans triomphe ni peine. Pendant qu’elles courent sur le cercle du temps, je reste là, éveillée en ma foi, debout dans l’âme. Mon corps quant à lui, allongé, attend, en vain, l’arrivée du sommeil.

 

Une émotion m’étreint. Rien dans ma vie ne peut justifier ce que je sens gonfler dans mon cœur.
Alors que je faisais la vaisselle hier soir, la joie, comme un rayon de soleil est venue me visiter : imprévisible, inexpliquée, je dirais même avec un sans-gêne incroyable.

 

Elle est venue, comme ça, sur mes doigts pleins de savon, dans l’eau sale, au fond de l’évier en inox gris, tout à fait laid. Elle est arrivée comme une fée sans baguette, sûre de son droit, belle comme le jour.
Lentement, sans ma permission, elle a dessiné mon sourire. Puis, la facétieuse a touché mes cordes vocales. Je me suis mise à chanter. Haut et fort.

 

Après quoi la soirée s’est déroulée comme à son habitude. Enfin, non, pas tout à fait, elle est revenue, royale, assise sur son trône, avec son diadème invisible. Un sourire, à nouveau, en forme de demi-lune s’est accroché à mes lèvres.

 

J’ai regardé par ma fenêtre, la nuit tombait, sans étoiles, sans beauté. Les voitures du parking rangées en rang d’oignon baillaient sans élégance. Rien, rien vraiment n’expliquait la survenue de cette Reine.

 

Tout d’un coup, sans prévenir, elle s’est décoiffée, elle a balancé son trône, sa robe et sa couronne. Je la voyais maintenant transformée en danseuse de flamenco, avec sa grande robe et ses claquettes. Bien trop maquillée, son chignon presque défait, je voyais même la boucle de sa mèche rebelle tomber un peu sur son front.

 

Dressée comme un défi, elle m’invitait à la rejoindre dans sa danse. Pour lui faire plaisir, je me suis mise à tourner avec elle dans une valse improvisée. Les mains sur son dos, les yeux fermés, je l’imaginais dans mes bras.

 

La joie et moi, si vous aviez pu nous voir, comme on était drôle ainsi, entre la table et les chaises, entre mon chien, sa niche et le fauteuil, nous manquions de place bien sûr.

Je ne sais comment, lorsque j’ai rouvert mes yeux, étourdie par sa ronde, elle était désormais un beau jeune homme. Il maintenait sa main posée sur mon épaule, toujours dans l’empressement échevelé de m’emporter dans son rythme. Je me suis laissé faire. Il était si beau, si poli, si bien fait de sa personne comme on dit.

 

La joie est une mangeuse de peines, une avaleuse d’amertume. Elle prend tout quand elle vient. Comme l’amour. Elle ne sait pas se donner à moitié. Offerte, elle se donne sans compter. Je crois qu’on se ressemble.

 

Petit à petit, essoufflé, il s’est changé en enfant. Il était là dans ses grands yeux candides à contempler mes roses en bouquet sur le bureau. J’observais les yeux des roses et ceux de l’enfant. Je ne saurais dire qui des deux regardait l’autre. Était-ce la rose ou l’enfant ? Peut-être un peu des deux. L’émerveillement enfante la joie. Elle est sa vibration.

 

Elle est aussi une pluie sans eau qui inonde le parterre de mon âme, sans raison, sans explication. Elle grandit avec la même grâce que le levé du jour, ce moment précis où le premier chant d’un oiseau s’élève dans l’air.

Ce chef d’orchestre ailé, qui lui en intime l’ordre ? Cet initiateur apaisé des mélodies matinales, qui le dirige, qui le réveille ? Je ne sais. Vous le savez-vous ? Moi non.

 

C’est peut-être pour ça que je suis contente. Je n’ai pas besoin de savoir. Pas besoin de comprendre. Pas besoin de réponses.

 

La joie est ce petit chanteur lyrique des Aurores. Elle fait un peu tout ce qu’elle veut.

Elle débarque avec la même audace que l’Amour. Elle en est même l’étincelle.


Elle se moque de mes circonstances, de mes bonnes raisons : quand elle s’est décidée, elle voyage. C’est tout. Messagère du Divin, elle apporte son palais royal, sa robe, son sourire, ses yeux, son ivresse. Même un court instant.

 

Aussi belle qu’une fleur au premier matin de juin.
Aussi pure qu’une larme d’amour.
Même sans retour.

 

Elle existe.
Toujours.

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