

La petite mouche et la fenêtre
Par un matin tiède de fin d’été, mon appartement sentait déjà l’humidité. A l’évidence, l’automne arrivait. Ma table en bois, au milieu du salon, recevait la lumière oblique du soleil. Dehors, un tilleul proche bruissait de feuilles. La fenêtre respirait tranquille. Sa peinture un peu craquelée lui donnait un air un peu mélancolique. L’un des deux battants était resté entrouvert, un courant d’air faisait danser le rideau léger.
Une mouche se mit à parler :
— Je suis une petite créature. Vraiment petite. Je ne sais pas d’où a pu venir la décision qui a prévalu à ma venue sur cette terre, mais c’est ainsi : je suis aussi petite qu’une goutte d’eau.
La fenêtre soupire.
— Tu es belle quoique tu penses. Tu es telle qu’il fallait. Point c’est tout.
— Si tu le dis. J’ai tenté bien des fois de comprendre le sens de mon existence, de ma naissance à ma mort qui viendra. Souvent, je reste sans réponse.
— Forcément, tu cognes ta tête chercheuse contre la vitre alors que je suis juste à côté de toi, grande ouverte. Tu regardes en toi au lieu d’aller devant, dehors, alentour.
La mouche frotte distraitement ses pattes contre ses yeux comme pour essuyer une douleur.
— Tu ne comprends rien la fenêtre. Pour aller où tu dis, j’ai besoin de comprendre. Il me faut des réponses, des certitudes absolues sur le pourquoi de ma vie. Les mystères me font peur et m’attirent aussi.
— Oh la mouche. Pas utiles voyons. Puisque tu es petite, aussi petite qu’une goutte d’eau, qu’as-tu à chercher toujours le sens ? Tu existes. Cela suffit.
— Ah point du tout. Cela ne saurait me suffire. Je ne suis pas là pour flotter en dilettante. J’ai un esprit, autant le faire marcher.
La fenêtre rit, un son doux, comme un battement de bois.
— Si tu étais comme tu dis, depuis longtemps déjà, tu aurais vu que je suis grande ouverte, je t’ai frayé un passage. Il t’attend.
— Mais je ne veux pas ! D’abord, je veux comprendre !
— C’est bien là tout le problème. Avant de comprendre, il s’agit de croire. Non pas l’inverse. La foi donne un autre regard, d’autres réponses. Et parfois d’autres chemins.
— Hors de question. Je veux contrôler, je suis un être doué de raison, je tiens à mener ma barque toute seule sur l’océan du monde.
— Oui, je te comprends. C’est honorable. À condition pourtant d’avoir donné le gouvernail à qui sait le tenir. Tu es bien trop petite pour embrasser d’un seul regard tous les mystères.
— Qu’est-ce que tu en sais ? Je suis coriace, moi, on ne me raconte pas d’histoires.
— C’est le souci la mouche ! Dis-moi : connais-tu la main qui t’a posée sur cette vitre ? Est-ce que tu sais qui a présidé à la création du cosmos ? Connais-tu toutes les molécules qu’il faut pour former une seule petite étoile ? Comment se forme la première graine d’une rose ? Quel est le nombre d’atomes nécessaire pour former le feu, la matière ?
La mouche se redresse, froisse ses ailes, réfléchit.
— J’ai pas la science infuse non plus !
— C’est toi qui le dis ! Encore ceci : Comment expliques-tu qu’un autre que toi-même t’aime déjà si fort sans aucun mérite de ta part ? Comment expliques-tu la beauté dans le regard d’un enfant ? As-tu compris pourquoi le silence livre tant de secrets ? Pourquoi est-ce qu’on nait avec une telle soif de tendresse ? D’où viennent les sourires ?
— Grrrr…N’empêche. Aller dehors, du côté ouvert, voilà qui me fait bien trop peur. Tout cet espace immense, le souffle du vent, l’odeur des arbres, les prédateurs qui rôdent.
— C’est juste. Si tu vas dehors, un autre dirigera ton envol. Si tu sors de toi, tant de beauté te ravira. Tu connaîtras l’extase de la grandeur qui t’entoure, tu voleras avec la confiance aveugle du tout-petit qui s’abandonne à plus grand que lui.
— Ah pas question, tu permets. C’est moi qui décide, c’est moi qui dirige, c’est moi qui dis ce que je veux, comme je veux, où je veux.
— Ta liberté chérie ne te sera pas ôtée parce que tu t’en remets à plus grand que toi. Bien au contraire.
— Comment ça ? Je ne veux pas donner à quelqu’un d’autre les clés de ma vie ! Certainement pas !
— . Le plus grand n’est pas forcément prédateur. Il peut être Amour. Quand l’Amour vient, il élargit le monde, il agrandit l’espace de ta liberté intérieure. La vraie liberté se vit à l’intérieur de l’Amour, ne le savais-tu pas ? Quand l’Amour vient, il ne t’enchaîne pas, il te guérit par des liens de tendresse ineffable.
La mouche fronce le front. Ses ailes vibrent malgré elle, comme un frisson nerveux.
— Tout ça ce sont des mots de philosophe mais moi je suis concrète, je veux des preuves.
— Tu as raison la mouche. Tu veux des preuves ? Goûte le silence du matin. Vois comme la poussière danse dans la lumière. N’est-ce pas déjà une réponse ? Allez : Va toi-même par mon côté ouvert. Les réponses viendront jusqu’à toi en même temps que l’amour, ses blessures et ses extases.
La mouche tousse un peu, comme pour dissimuler sa gêne.
—Vis, deviens ! Cesse de te cogner : tu es bien trop petite pour te briser. Consentir à rester petite, parfois, c’est aussi se laisser porter. Petite comme une goutte de rosée sur une feuille, ou si tu préfères : petite comme un simple voilier sur l’océan.
A ses mots, l’insecte regarde la fenêtre. Il entrevoit en effet l’entrebâillement où la lumière forme un chemin. Va-t-il oser le petit battement d’ailes ? Ira-t-il, en confiance, dans le Cœur du Grand Univers ? Il hésite.
Soudain, un grand coup de vent vient ouvrir davantage la fenêtre à deux battants. La petite créature n’a plus le choix : c’est le grand saut. L’envol. Le souffle de la vie l’emporte.
Ses ailes tremblent d’abord puis se laissent aller sous la caresse du vent. Chaque battement devient une victoire fragile. Elle découvre le frisson du ciel, la brûlure de la lumière.
Je la vois déjà voler jusque vers le Soleil. Le grand Soleil de l’Amour, celui qui brûle et donne sens à tout…
Même à la vie des petites mouches….
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