
Interview fictive : Alice – Les racines du silence
Dans la cuisine sombre mais impeccablement rangée, l’odeur d’un café refroidi flotte encore. Alice Delattre s’assoit lentement, lisse son tablier beige et croise les mains sur la table. Son regard bleu délavé est à la fois absent et perçant. Le journaliste installe son carnet. Le silence s’impose naturellement, comme une règle tacite.
Journaliste : Madame Delattre, merci de me recevoir. On dit que vous tenez beaucoup à ce terrain près de la chapelle. Pourquoi ?
Alice : (hausse légèrement les épaules) Parce qu’il est à moi. Ou du moins… il devrait l’être. Les terres, c’est comme le sang, monsieur. Ça se garde dans la famille.
Journaliste : Pourtant, les papiers disent qu’il appartient désormais à Madame Dalle et à sa nièce.
Alice : Les papiers… (sourire glacé) Les papiers disent ce qu’on leur fait dire. La terre, elle, sait à qui elle appartient.
Journaliste : Ce terrain est pourtant inutilisé. Pourquoi ne pas le laisser pour ce projet de restauration ?
Alice : Vous croyez qu’on vit sur un bout de terre comme sur une maison de location ? Les racines ne se déplacent pas au bon vouloir des modes.
Journaliste : Vous pensez que la chapelle devrait rester en ruine ?
Alice : Je ne pense pas. Je sais. Les pierres ne sont pas mortes, vous savez. Elles écoutent. Elles gardent. Certaines choses… il ne faut pas les réveiller.
Journaliste : Que voulez-vous dire par là ?
Alice : (long silence, le regard fixé vers la fenêtre) Il y a des histoires qui ne supportent pas la lumière. Quand on soulève la poussière, on ne sait jamais ce qu’on trouve dessous.
Journaliste : Est-ce lié à votre querelle avec Héloïse Dalle ?
Alice : (ricanement bref) Querelle… ça, c’est un mot de citadin. Ici, on vit côte à côte. On se parle ou on ne se parle pas. Mais on n’oublie pas.
Journaliste : On m’a dit que vous partagez un secret avec votre fils Hugo…
Alice : Les secrets, c’est comme les racines d’un arbre. Ça ne se montre pas, mais c’est ce qui tient debout.
Journaliste : Et ce secret concerne la chapelle ?
Alice : (voix plus basse) Ce lieu a vu des choses. Il a entendu des paroles qu’on n’a pas le droit de répéter. Moi, je m’en souviens. Et Hugo aussi.
Journaliste : Alors votre opposition au projet…
Alice : (le coupe) … n’a rien à voir avec un caprice ou un bout de terrain. Les autres pensent que c’est une simple histoire de voisinage. Ils se trompent.
Journaliste : Vous avez l’air de porter un lourd fardeau.
Alice : On ne choisit pas toujours ce qu’on porte. Mais on choisit de ne pas le déposer.
Journaliste : Et si un jour vous n’étiez plus là pour défendre ce secret ?
Alice : (un sourire glisse sur ses lèvres) Les secrets voyagent. Ils trouvent toujours quelqu’un pour les garder.
Elle détourne le regard vers la fenêtre, comme si l’entretien était terminé. Le journaliste referme son carnet. Dans cette pièce immobile, il reste l’impression que plus qu’une conversation, il a assisté à une veillée silencieuse autour d’un mystère trop lourd pour être dit.
Ajouter un commentaire
Commentaires