

Le Moulin
Je suis un moulin ou un cœur, je ne sais plus. En haut d’une colline ou au sommet de mon âme, là encore, je ne sais plus. La monotonie des journées sans soleil intérieur me navre autant que les nuages en sommeil qui défilent dans mon ciel juste au-dessus.
Le ciel, parlons-en du ciel, allez savoir ce qui s’est passé, j’ai parfois l’impression d’un grand désert sans Dieu, ni anges, dans l’obscurité de l’automne, vous savez, ces soirs de novembre où la terre est couverte de tous les feuillages en sanglots.
Je suis un moulin ou un cœur, comment savoir. Pris au piège des vents contraires, à moins que ce soit dans les tourments de ma vie intérieure, je virevolte jusqu’à la nausée. Parfois, je grince comme une porte rouillée qu’on ouvre après trop d’années sans visite aucune.
Emportées dans les fougues de mes amours sans retour, je pleure de tout mon être. Oui, de tout mon être : corps, âme, sang, muscles et chairs. Qui peut le deviner ? On ne voit de moi que ce qu’on veut bien voir : mes bras géants à gesticuler quelle que soit l’heure, ma roue, mes engrenages, ma tour de pierre. On se trompe, les apparences mentent.
Je vous le dis, croyez-moi, je vous en prie, mes ailes sont l’énergie qui me reste, oui, celle qui demeure après l’amour qui meurt, ou qui s’en va, ou qui ne veut plus. Ma maison n’est qu’une ruine après les sourires envolés, les chahuts des enfants partis, l’avenir sans lui, sans moi.
Suis-je un moulin ou un abri d’oiseaux fugueurs ? Serais-je un Derviche tourneur à étourdir mes peines, non pas seulement les miennes d’ailleurs, mais toutes celles autour : celles qu’on cache, qu’on tait, les muettes souffrances que nul ne peut rejoindre.
À me voir comme ça, on pourrait croire que je ne suis qu’une tour inerte à battre l’air comme d’autres tuent le temps, dans l’ennui. Détrompez-vous, je connais des assauts invisibles à l’œil extérieur. Bien plus terribles que les pluies d’octobre, les orages caniculaires ou les chutes du silence blanc les soirs de décembre.
Par moments, je suis un moulin nu comme un ver, on me croit debout alors que je rampe sur la terre de mes saisons pluvieuses. Si vous vous arrêtiez pour me regarder de plus près, vous verriez mes planches tournoyantes en forme de croix. Ô, mais je l’ai bien compris, on ne veut voir de l’autre que ce qu’on veut bien voir. La douleur fait peur.
Certains jours, je danse enivré par la suavité de mes élans d’amour. À d’autres moments, j’étourdis mes colères, mes peines et mes tourments, quand j’ai trop mal, rien ne parvient à m’arrêter. Je m’unis au chagrin des environs, à l’unisson d’autres cœurs au secret.
Avec les tonnerres, je pleure jusqu’au vertige la solitude qui m’habite, je chasse mes agonies avec mon éventail de bois mort. On me croit trop vieux, trop usé, trop fragile, il n’en est rien. Si vous pouviez sentir avec moi les secousses qui me traversent encore. Quel que soit l’âge, on est si affamé d’amour. Oui, on le désire tellement. Les années passent et rien ne change. J’en ai le cœur à l’envers, je crains même d’en mourir.
Enfin, je fais erreur, qui Suis-je ? Un moulin ? Un cœur ? Un moulin dans un cœur peut-être, oui, voilà la réponse : un moulin dans un cœur.
Nous avons en chacun de nous des moulins affolés, des frissons cachés, des tremblements de tendresse inassouvis. Un moulin dans un cœur, un cœur au moulin voyageur. En cercle indéfini.
Nous n’y pouvons rien. Nos pulsations fiévreuses nous tourbillonnent jusqu’à l’ivresse. Nous battons la mesure au rythme du métronome éternel. Comme des balanciers du ciel, nous ne saurions cesser d’aimer.
Je vous aime, aimez-moi, j’ai soif d’être aimé.
J’ai les ailes géantes d’un oiseau immense. J’ignorais d’ailleurs que les moulins volaient. Comment ne l’avais-je pas compris plus tôt ? L’Amour donne des ailes.
Avec elles, ô mon Dieu, je veux aller jusqu’à vous. Je vous en prie, arrachez-moi à la ronde éphémère, je vous en conjure, emportez-moi jusqu’à votre Soleil...
Dans la lumière de votre Amour éternel.
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