Carte Postale

Carte postale

 

Il y a trois mois environ, j’ai dû procéder à un tri sélectif dans toute ma correspondance. J’ai dû relire les lettres anciennes de la part d’amies qui avaient depuis longtemps quitté ma vie, j’ai souri devant les dessins des enfants du catéchisme, sans compter les recettes de cuisine écrites à la va-vite sur du papier jauni.  Bref, beaucoup d’écritures à trier, ensuite, je devais choisir :  garder ou jeter.

 

Je suis plutôt du genre : « poubellophile » alors, forcément, beaucoup de ces souvenirs ont été mis aux déchets sans discussion ni retard.

 

Mais au milieu de tout ce fatras d’écritures, j’ai retrouvé aussi une petite chemise rouge avec élastiques. J’ai ouvert et j’ai compris qu’il s’agissait de toutes les cartes postales envoyées par celle que je considère non seulement comme ma meilleure amie mais surtout comme une mère adoptive. C’est exactement ce qu’elle fut à un moment donné de ma vie. Âgée aujourd’hui de 97 ans et en Ephad, je n’ai plus beaucoup de contacts avec elle mais j’avais conservé tous ses écrits.

 

Avec ce dossier écarlate entre les mains, je sentis mon cœur battre plus vite. Je prenais toutes ces cartes postales reçues pendant les presque 30 ans de notre relation. Certaines d’entre elles pendant ses vacances, d’autres pour mon anniversaire, d’autres encore pour ma fête ou à l’occasion d’une petite aide financière qu’elle m’apportait de temps en temps.

 

Je relisais non sans une certaine émotion toutes ces missives écrites d’une main de plus en plus tremblante avec les années. Il y en avait de toutes les couleurs, rouges, bleues, vertes, des photos de lieux que je n’ai jamais vus : l’île de Chypre ou une ville de Bretagne, des vignobles du Beaujolais ou des maisons de Provence. 

 

D’autres comportaient des dessins plus naïfs, des messages philosophiques, des paysages naturels à couper le souffle ou des citations spirituelles. J’ai même reconnu les monastères chrétiens où elle se rendait chaque année avec son mari lorsqu’il était encore avec nous. Mon amie a tellement vieilli quand son époux a quitté cette vie, c’est d’ailleurs à partir de ce jour que sa santé a commencé à vaciller.

 

Tout ce que je viens de raconter là n’a vraiment rien d’extraordinaire, chacun de nous un jour ou l’autre monte dans un grenier ou fouille dans ses armoires pour y trouver des vestiges du passé. Alors, qu’y avait-il de si poignant pour moi ce jour-là ? Qu’est-ce qui m’a rempli d’une émotion si intense ? Ce n’était pas seulement les souvenirs, pas seulement les sourires passés ou notre goût de l’écriture.

 

Non, Je remarquais à la lecture de toutes ces cartes postales un point commun merveilleux. Je ne l’avais jamais noté de façon aussi précise dans ma mémoire. Ce petit détail imprégnait toutes ces cartes d’une lumière particulière. Il illuminait mon regard. A vrai dire, il agissait sur moi avec la même intensité qu’une caresse sur ma joue. Il reproduisait à l’identique le velouté de ses yeux, la même douceur que la première fois où elle me prit dans ses bras pour me consoler. J’avais 34 ans, je croyais ma vie terminée, sans but précis, je n’avais même plus le goût de vivre.

 

Oui, ce petit détail se retrouvait sur chacune des cartes que j’avais dans les mains. Comment ne l’avais-je pas vu plus tôt ? Pour un regard extérieur, sans doute, ce n’est qu’une broutille. Pas pour moi.  Ce petit rien, au moment de ma lecture, avait toute la saveur d’une étreinte à jamais renouvelée. Il brillait en bas de chacun de ses petits mots, juste avant sa signature.

 

Vous savez, pour conclure, souvent on écrit : « Je t’embrasse » ou bien « Bonjour toute la famille » ou bien « Gros bisous baveux » ou bien « A bientôt ».

 

Ici, il s’agissait de tout autre chose. On aurait dit une étoile, une perle arrosée de soleil, une fleur épanouie dans la clarté du jour, la couleur d’une rose dans un vase en été.

 

Oui, ce petit rien du tout qui change tout pansait mon cœur d’une délicate onction, je me sentais revivre rien qu’à le lire, à l’épeler, à le goûter, à le contempler.

 

Il avait la beauté d’une prière au secret, le murmure d’un soupir d’enfant dans le creux de l’oreille, il chantait si haut bien mieux encore que les mésanges en été.

 

Oh, ces lettres assemblées avaient le même effet sur moi que le lever du soleil, que la rosée du matin sur l’herbe des prairies ou que l’odeur de son parfum que je n’oublierai jamais.

 

Il avait la même agilité qu’un vol de papillon dans le souffle léger du soir. Ce simple mot offert comme un bouquet, comme une main, comme un cœur à la profondeur insondable, comme un puits de lumière infinie, le début même de l’éternité à venir :

 

TENDRESSE

 

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.