Ma douleur

 

Je vois un homme sur le port, c’est un marin. Il est ivre, il pisse sur le quai, beugle un jargon idiot puis titube à chaque pas.

J’en aperçois un autre un peu plus loin, il se cogne toujours devant le même mur de brique placé juste devant, c’est étrange, comme s’il espérait l’abattre. Ce mur, indestructible pour sa tête, à coups de front, il ne peut l’éviter, encore et encore.

 

Ma douleur est entre le marin buveur et le front tuméfié.

 

J’entends le cri d’un goéland par-dessus l’océan déchaîné. Le bruit du ressac contre les rochers est assourdissant. Cette roche, tapée à coups répétés, l’eau ne peut l’éviter, encore et encore.

Je perçois, par instant, projetée dans l’air, une flèche en plein vol qui se jette au sol, inéluctable. C’est étrange, comme si elle espérait fendre l’air une fois pour toutes.

 

Ma douleur est entre le cri de l’oiseau et la flèche abîmée.

 

Je sens vibrer le bitume sous le poids du marteau piqueur. Il frappe depuis des heures sur ce béton qui ne veut pas céder, c’est étrange, l’engin ne veut plus s’arrêter.

 S’élève dans l’espace, la mélopée interminable d’un chant venu d’ailleurs, il psalmodie, toujours encore, comme un refrain qu’on ne peut oublier.

 

Ma douleur est entre la machine et les sons redoublés.

 

L’odeur âcre de la mort soulève la poussière de la terre qui s’envole et descend. Elle est comme chahutée par un cheval au galop.

Les éoliennes tournent sans fin. Elles sont le cycle interminable d’une volonté farouche. Un peu comme un manège hébété ne cesse de recommencer.

 

Ma douleur est entre la course effrénée et le carrousel entêté.

 

Le Pie vert tape sur le tronc, à l’infini, comme un geste obligé. Il ressemble aux aiguilles du temps qu’on ne peut stopper.

Je tends l’oreille, la mélodie égorgée d’un animal aux abois monte en moi. On le mène à l’abattoir sans regret comme s’il l’avait bien mérité.

 

Ma douleur est entre l’écorce et la bête condamnée.

 

Le souffle d’un cyclone ne cesse de tout emporter. C’est étrange on dirait le cri centrifuge d’un cercle irrésolu.

La plainte du vent siffle à mes oreilles à toute heure du jour ou de la nuit. C’est étrange on dirait qu’il gémit comme si on l’étouffait.

 

Ma douleur est entre le rugissement et la gorge étranglée.

 

J’ai mal à en crever.

Si seulement je pouvais arracher la clameur au fond de moi.

Mais voilà, elle résonne, encore et encore.

Son écho n’en finit pas.

Comment le pourrait-il ?

L’Amour ne le peut pas.

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