

L’Oiseau immense
Je suis un oiseau immense, à nul autre pareil.
Je vole au-delà des frontières et des océans.
Je ne sais pas pourquoi je vole. Mais je le dois.
Mes envols sont ma vie, mon risque, ma demeure et ma joie.
Je vogue dans l’air bien au-dessus de nos têtes, des arbres, des montagnes.
Tout en haut.
Je contemple la terre à hauteur du ciel.
Je regarde vers le bas avec la distance des nuages.
Je suis entre vous et moi, quelque part, entre là-haut et là-bas.
Je suis un aigle peut-être. Je ne sais pas.
Un vautour, un faucon, je l’ignore.
Mon travail, mon attrait, ma mission, c’est de voler.
Alors je vole.
J’obéis à cette injonction qui m’habite.
Je suis un oiseau géant, mon amplitude est si grande, les deux ailes étendues, on dirait un drapeau.
Je flotte au vent. Je plane en direction d’ailleurs.
Tout ce qui compte, c’est de me laisser porter comme un enfant dans les bras d’une mère.
Moi, ce sont les bras du vent.
D’où vient-il ? Qui est-il d’ailleurs ce vent ?
Tour à tour impétueux ou fantasque, calme ou bruyant.
Il gifle parfois mes joues comme l’hiver.
Il caresse ma nuque comme l’été.
Je ne sais pas. Il est là, c’est tout.
Il me transporte bien au-delà de mon cœur, loin de ses labyrinthes où je meurs.
J’ai pour moi seul l’espace des grandes libertés, la grandeur de l’immensité.
Seul. Absolument.
Dès qu’on s’élève, quoiqu’on dise, on est seul.
C’est le prix à payer, la rançon de mes envolées célestes, de mes mysticités fulgurantes, de mes embrassements avec les sommets.
De mes étreintes infatiguées
La bouche grande ouverte, j’aspire l’air du large.
Il sent parfois le sel, parfois la poussière des chemins.
Plus je vais, plus j’aime mes voyages.
Je glisse. Oui, c’est cela.
Je surfe sur l’inutile puis je plonge en profondeur comme fou de Basan.
Comme le cœur épris s’en va vers l’être aimé.
Comme poisson dans l’océan.
Comme la prière de l’enfant candide en quête d’un trésor enfoui.
Je ne suis pas éthéré, pas plus qu’amnésique.
Je ne suis pas inconscient. Non.
Juste, j’ai senti un jour — je ne sais quand exactement — que l’air me manquait.
J’étouffais sans la hauteur.
Il me fallait une autre dimension.
Laquelle ? Je ne saurais la définir exactement.
Tout ce que je sais, c’est qu’il me faut ce lieu où respirer, cet endroit vierge de toute apesanteur.
J’ai l’altitude intérieure sans vertige ni nausée.
À vrai dire, je crois bien que mes jambes éreintées se sont épuisées à force de marcher.
Sur des routes trop sèches.
Sur des pavés qui cognent.
C’est pourquoi maintenant je n’hésite plus.
Je ne reste plus collé à la terre, exténuée par ses insatiables famines.
J’ai le goût des cimes invisibles.
Je ne peux rester longtemps sur le quai.
Il me le faut, ce départ, cette flambée ailée, cette escalade souterraine.
Je suis d’ici et d’ailleurs.
Qui Suis-je en vérité ?
Qu’importe.
L’Amour n’a pas besoin de définition.
Il se quitte, il part, il s’élève en voltiges énamourés.
Rien d’autre ne compte.
Je suis un oiseau immense.
Un oisillon vorace.
Un adulte enfantin.
Une candeur en transe.
J’ai faim, j’ai soif, je meurs sans cet univers.
Je ne sais pas qui des deux est le plus fort.
Il me happe ou bien est-ce moi qui l’appelle ?
Après tout, on s’en fiche.
Le temps ne saurait me suffire, pas plus que les figures imposées.
J’ai l’envergure intérieure.
Vous allez m’objecter que j’ai deux pieds, un ventre et porte-monnaie.
C’est vrai.
Mais j’ai aussi les bras du cœur qui décollent vers les hauteurs.
Là seulement, je reconnais ce parfum, ce souffle léger, cette ivresse.
Ne m’empêchez pas.
Tous les oiseaux de toute façon se doivent de mourir.
Je m’en irai moi aussi, un jour.
Plongée dans le Soleil du dedans.
Dans l’éternité pour laquelle nous sommes faits.
Sans limites ni barrières, sans filets ni protection.
Et si, ici-bas, j’ai quelques amours, je sais, j’en suis sûre, qu’ils viendront avec moi.
Dans l’Amour en démesure.
Dans l’infini où je me déploie.
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