Mr le Vicomte

Monsieur le Vicomte

 

Mr Le Vicomte se rendait à un mariage comme on va aux galères. Invité malgré lui, la bienséance l’empêcha de refuser. Oh il ne méprisait pas les fêtes ni les gens, simplement au milieu des chapeaux, des robes et des foulards de soie, il se sentait mal à l’aise.

 

Depuis longtemps, il avait quitté tous les châteaux, les champagnes et les soirées mondaines. Assis devant son chevalet, il préférait peindre la vie, celle hors les murs de l’aristocratie. Dans son petit studio, il se sentait traversé par une liberté souveraine qu’il avait conquis de haute lutte.

 

Mr le vicomte n’est pas un rêveur, pas plus qu’un imbécile, encore moins ce qu’on appelle un anticonformiste. A vrai dire, tout ce qu’il avait toujours souhaité se trouvait dans sa petite pièce de vie : un peu de peintures, une guitare, quelques partitions, un silence solitaire où tous les rêves venaient le rencontrer.

 

Il ne demandait à la vie rien d’autres que d’être libre, sans richesse éclatante, sans célébrité, ni démesure. Ce qu’il aimait, lui, un peu idéaliste, tenait en peu de mots  : vivre l’amour, dessiner les visages, écrire des poèmes, chanter sous les lampadaires des trottoirs dès que vient le printemps.

 

Je l’ai rencontré un soir de septembre, près d’un café où j’avais remarqué qu’il se rendait de temps en temps. Attablé à une terrasse où il regardait les passants aller et venir, je l’observais en silence, non loin de là, de l’autre côté, cachée derrière un pilier où je buvais mon thé, souvent à la même heure.

 

Toujours un peu décoiffé, l’air un peu rêveur, je me demandais ce que cachait ce cœur d’artiste visiblement très seul. Ni une, ni deux, je pris un jour mon courage à deux mains pour le rejoindre. Lui qui depuis longtemps avait jeté par la fenêtre bien des convenances, fut ravi de mon audace.

 

Petit à petit, l’habitude fut prise de nous rencontrer. Nous sommes devenus amis bien sûr, même complices.

C’est là qu’une fois, il se mit à me raconter ce mariage où il avait dû se rendre, sans envie. Il me montra une photo de lui : un costume queue de pie, un chapeau haut de forme sur la tête, la mariée à son bras, émue, très belle.

 

C’était étrange pour moi, la différence était telle entre cet homme à l’air sans cesse un peu absent et celui sur la photo. On aurait dit qu’il s’agissait d’un autre.

 

Mr le Vicomte, dans son costume impeccable, ressemblait à un de ces personnages de film d’antan :  sourire coincé, corps dressé, jambes serrées, chaussures cirées, barbe rasée, cheveux courts. Je le reconnaissais à peine. Je dois avouer cependant que sa belle prestance, son allure très classe me touchait. Il avait quelque chose à la fois d’un peu désuet et d’irrésistible. Je le trouvais beau. N’importe qui d’ailleurs aurait constaté cela : son regard perçant, sa démarche assurée, j’étais bien certaine que dans son rôle, bien des femmes auraient envié être à ses côtés.

 

Puis je contemplais le visage de l’homme assis à mes côtés. Comment croire qu’il s’agissait du même ? L’air concentré, le visage buriné, les lèvres un peu gercées, les cheveux toujours en désordre sur son front, où était passé celui des grandes festivités ?

 

Son regard portait en lui tout un univers : Tantôt comme une étoile éphémère dans un ciel bien trop grand, tantôt comme une vague échouée sur le sable d’une île inconnue. Par moments, je voyais luire sur le bord de ses yeux si bleus une étincelle en larme.

 

Habillé comme à l’ordinaire d’un simple jean et d’un tee-shirt blanc, rien en lui ne laissait paraître le milieu d’où il venait. Quand il parlait cependant, bien des mots s’envolaient de lui comme des oiseaux, comme si chacun d’eux avait la même valeur qu’un trésor enfoui. Poète, il jouait avec leur musicalité. Il peignait des paysages anonymes, des personnages un peu mélancoliques. Il lui arrivait aussi de prendre sa guitare pour entonner quelques chansons d’amour plus ou moins connues.

 

Qui donc était cet individu ? Un Vicomte marginal ? Un artiste aristocrate ? Un être venu d’ailleurs ? A la fois d’ici et d’ailleurs ? D’un autre monde peut-être ?

 

Je ne sais pas vraiment. A l’heure qu’il est, je n’ai pas encore percé tout son mystère. Ce que par contre je suis sûre, c’est que j’aime le parfum de son après rasage lorsqu’il se mêle à ses poèmes, son regard envolé qui s’enchevêtre avec mon âme, son sourire formidable lorsqu’il bruisse avec les feuilles du peuplier non loin de là.

 

— Qu’est devenu Mr le Vicomte ?

— Il a bouffé son chapeau !

Eclats de rire.

 

— Qu’est devenu l’artiste méconnu ?

— Il est l’ami de la liberté.

Bonne réponse.

 

Après tout, à bien y réfléchir, je crois bien qu’on est tous un peu comme lui : plusieurs paysages, plusieurs saisons, arbres et fleurs, mers et sables, ciel et terre, un peu d’en haut, un peu d’en bas, un peu de sel, de sucre. Un peu de tout.

 

Immense comme océan, petit enfant rieur, homme sage, bête égarée. Un peu de toi, un peu de moi, un peu de tout, des souvenirs et des regrets aussi, quelques élans, beaucoup de peines et bien des joies.

 

Un être à part, unique.

Comme chacun d’entre nous.

Et tant pour moi.

 

 

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