
Le 3ème œil
Un œil portatif regarde avec son zoom avant les plus petits détails des environs. Je l’utilise quelquefois pour m’extasier de toute cette beauté que nous voyons sans voir. Nous passons si souvent devant des couleurs, des formes, des parfums, sans nous arrêter, comme si tout cela n’existait pas. Comme si, enfants gâtés que nous sommes, tout nous paraissait acquis, appris, enfouis dans la terre, quelque part, loin de nous.
Un œil en balade admire les étonnants mélanges, les hauteurs, les largeurs et les directions de tout ce qui nous entoure. Il capte l’instant où tout d’un coup ce n’est plus l’indifférence qui se promène, mais lui, tout attentif, caché dans mes yeux, qui me donne à voir tous ces trésors gratuits qui nous encerclent. Tant de richesses alors se dévoilent. Je les vois renouvelées, chaque jour, sans mérite de notre part. D'ordinaire, je fais partie de ces adultes distraits pour qui tout semble logique, calculé, sans surprise, éloigné de nous.
Un œil au ralenti prend son temps devant toutes ces grandeurs dont nous ignorons les noms, les origines, les étendues et les voyages. Il freine pour observer les plus petits dessins partout, les fines arabesques, les traits discrets, les pointillés. Il voit de sa pupille ce que nous oublions. Comme si, pour les gens de bien que nous sommes, tout était normal, rien de prodigieux, rien de génial hormis nos petites richesses personnelles. Tout nous semble dépourvu d’intérêt, quelconque, banal, distant de nous.
Un œil joyeux contemple les alentours avec talent, il se connecte aux regards des roses, des hêtres, des herbes sous la caresse du vent, des petits écureuils aussi. Il photographie les ramures des écorces, les demi-cercles de pétales, les rondeurs des cœurs, les nuances colorées des feuilles, les formes étranges de quelques bourgeons. Comme si, moi, élève maladroite, je retournais à l’école pour réapprendre à mieux regarder, à marcher avec lenteur.
Mon portable loge une moniale contemplative au-dedans de lui : un petit appareil photo qui me permet de tout considérer sous un nouveau jour. Blottie avec lui dans le fond du cloître de l’univers, je me surprends à louer, à prier, à bénir, à remercier. Tout me cueille : ce qui est, ce qui pousse, grandit, se fane et s’offre.
Au nom de tous et pour tous, je rends les hommages qui sont dus à tant de majesté silencieuse, de pudeur généreuse, de grandeur muette.
Mon œil technologique contient la grâce de la contemplation, l’innocence des premiers émerveillements, la simplicité du partage, la joie des débuts, la candeur de l’enfance.
Mon téléphone pointe son doigt vers mon être blasé : Regarde ! Regarde mieux !
Je m’approche, il prend sa photo, mes yeux s’ouvrent, mon cœur tressaille.
Oui, il a raison :
Tout est beau, tout est grand, tout est grâce.
Merci mon Dieu.
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