Une nuit, un silence, une prière

Une nuit, un silence, une prière

 

J’étais invitée dans le cadre d’une retraite spirituelle où j’étais venue pour une semaine, à me rendre de nuit à une adoration du Saint Sacrement, dans la chapelle du lieu.

A trois heures du matin donc, je me suis habillée, puis je m’y suis rendue.

 

D’abord, il y avait le silence. Plus de paroles, plus de passages, plus de sons, aucun bruit. Rien. Absolument rien.

Puis,  ce fut la découverte de l’endroit où devait se dérouler cette oraison nocturne : La lumière n’était pas la même que d’habitude, uniquement un chandelier devant le reposoir  placé sur l'autel et quelques bougies. Rien d’autres. Le tout donnait l’impression d’être au cœur d’un rayon de soleil. On aurait dit une lumière crépusculaire.

 

Cette sorte de clarté pétillante sans être agressive donnait une sensation de grande douceur, je dirais aussi qu’elle lançait de manière fulgurante un appel à l’intériorité.

 

Je me suis approchée, je marchais à petit pas feutrés comme si je risquais de réveiller quelqu’un, ce qui est juste impossible dans une église.

Je me suis assise, là, devant l’autel où était posée l’hostie très sainte.

Puis, j’ai fermé les yeux.

 

Dans la radicalité de ce silence à l’oreille géante, j’ai commencé par murmurer quelques mots, comme ça, dans le désordre. Au début, je cherchais ce que je pouvais dire, je balbutiais plus ou moins.

 

Ensuite, est venu le moment, où les paroles montaient au bord des lèvres, toutes seules, sans avoir à les penser, à les mettre en ordre, à leur donner cohérence. Mon langage pleuvait comme une rosée venue du plus profond de moi-même. J’étais surprise par mon discours, sans excès, sans recherche de sens, sans aide, sans rien d’autre que le cœur de mon cœur invisible.

 

Je le répète : ce qui sortait de moi m’étonnait : Une montée d’émotions, directement de mes entrailles, sans éloquence. J’avais l’impression que ce n’était plus moi qui parlais mais que j’étais en train de lire une lettre reçue d’en haut.

 

J’en prenais connaissance, je la lisais avec mon vocabulaire personnel, elle venait de mon être profond, et en même temps, elle se révélait comme une nouveauté écrite non seulement par mon vécu mais aussi par une autre main plus subtile, plus délicate que mon verbiage ordinaire. Elle provenait non seulement de ma vie  émotionnelle, psychologique, affective... mais aussi de la Présence en moi.

 

Un peu comme si sa main venait déplier le brouillon de mon récit. Comme si quelqu’un pointait de son doigt les zones de ma vie que je ne regardais pas, que je n’écoutais pas. Cette présence agissante me mettait un casque sur le cœur pour écouter sa propre mélodie, ses battements. Il  traduisait ce que je portais au fond de mon être et dont je ne soupçonnais pas l’existence.

 

Ma prière avait l’allure d’un sourd muet qu’on appareille pour la première fois ou presque. Le silence était un prothésiste expert dans l’écoute de mes motions intérieures.

 

Elle vivait d'ailleurs quelques mutations successives : tantôt une chenille, tantôt une cascade en chagrin, une tempête effrontée, un enfant facétieux ou la peine d’un arbre agité par l’automne en deuil.

Progressivement, mes paysages changeaient, ils voyageaient vers une autre dimension : celle du silence. Pas le silence imposé, pas l’absence de son, pas le vide, pas le néant, pas la confrontation avec le mur du soi. Non.

 

J’expérimentais en actes ce que Ste Elisabeth de la Trinité racontait si bien :

 

« De l’Amour du Silence au Silence de l’Amour ».

 

Un pont levis se dressait dans mon âme, je n’avais plus qu’à le traverser. Les mots s’effaçaient, toute tentative de parler de nouveau était vouée à l’échec.

 

Le silence  ne s’imposait pas comme une force obscure qui aurait fait de moi une victime, je n’étais soumise à aucune contrainte, non, il était question d’autre chose. A quoi le comparer ?

 

Je pense qu’il s’agissait plutôt d’une étreinte, comme l’enfant bercé contre le sein de sa mère, ou bien, l'analogie est un peu moins fréquente : comme si mon âme se retrouvait placée dans la paume d’une main géante, plus douce que tout ce qui peut exister en ce bas monde.

Je ne pouvais plus émettre une seule phrase.

 

Vous arrivez à cet instant précis où vous savourez la fragrance d’un amour qui ne tolère plus le verbiage, les explications, les invocations, les formules, les citations, les questions, les demandes.

Non, Il ordonne le silence parce qu’Il ne veut répondre que par son Silence.

 

Mais quel est ce silence ? C’est un lieu où tout parle mais sans la bouche, uniquement par palpitations, respirations, saveurs, touchers. Ou bien plus rien du tout.

 

Là, il n’y a plus de place pour l’égo. Vous n’êtes pas disparue, non, bien au contraire, vous êtes vivante, absolument, mais unie, emportée dans une pure tendresse. Ce n’est pas la disparition d’un rien dans un grand tout. C’est une caresse, une contrée neuve, inviolée, sans mal.

 

Rien d’extraordinaire en vérité, toute personne qui a lu "le château intérieur" de la Grande Thérèse connait bien cette « oraison de quiétude » à laquelle nombre de débutants dans la vie spirituelle peuvent goûter.

Ce n’est pas une grâce pour quelques privilégiés. C’est à la portée de tous. Surtout des débutants dans l’oraison.

 

Les seules premières conditions sont sans doute le silence et le désir de s’approcher de Lui, sans a priori, sans chercher à être autre chose que ce qu’on est réellement.

 

Il me semble qu’il ne faut pas craindre d’être dans la nudité de sa petitesse, dans sa vraie pauvreté. J’ai presque envie de dire : Tout cru. Il faut juste être tout cru. Sans rien d’autre que son cœur tel qu’il est.

Quand j’ai rouvert mes yeux, j’ai retrouvé la lumière apaisée des luminions, le vide des bancs, l’odeur de la cire, les icônes sur les murs, les couleurs sans bruit.

 

De nouveau les mots revenaient, en fait, j’expérimentais l’intermittence de mes prières parlées et du silence en retour : Un dialogue entre l’âme et son Dieu.

 

Dieu comme l’âme d’un poète, comme celle d’un enfant innocent, d’une fleur au printemps.

Une étreinte.

Un coeur à coeur.

Un Amour.

 

Pour découvrir davantage sur le sujet, cliquez sur les boutons ci-dessous : 

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.