1ère page de "Almaé, la Danseuse Intérieure"

Conte 2 – Almaé, la danseuse intérieure


Almaé a 8 ans. Elle danse dans le cœur : une scène invisible, intime, vivante. Sa danse incarne les saisons de l’âme, ses hauts et ses bas, ses espérances et ses renoncements. Sur son chemin, elle doit affronter des forces qui étouffent, qui coupent, qui refusent de sentir. Lior, “lumière intérieure”, danse par éclats à ses côtés. Leur duo réveille les mots, guérit les fissures, réouvre les possibles. Le conte montre le retour au mouvement intérieur après l’enfermement.

Première page : Almaé la Danseuse intérieure

Almaé signifie : « âme aimée », « âme nourricière ». Elle danse depuis qu’elle peut marcher ou presque. C’est une seconde nature. C’est sa passion, sa respiration. Elle ne saurait s’en passer. L’idée ne lui ai même jamais venu.

 

Elle a 8 ans. Elle est très douée. Sa particularité ? Elle est intérieure, c’est une danseuse au-dedans, invisible. Sa scène se situe dans le cœur. Là, elle peut danser, tout le temps, sans limites, sans barrière, ni contraintes. Hors du temps. Hors de l’espace.  Autant qu’elle veut, jusqu’à l’essoufflement, jusqu’au vertige. Qu’importe, Almaé danse comme d’autres dessinent ou chantent.

 

Elle danse les saisons, les émotions, les transitions, les larmes et les regrets, les amours et les chagrins.

Derrière elle, un grand rideau bleu nuit, tout plein d’étoiles, même en plein jour, son soleil est là, toujours à briller, quel que soit la journée. L’intériorité est sa demeure d’où son joli prénom. Sa mouvance est son mystère, nul ne peut l’approcher sans vibrer.

 

Auréolée d’un tutu blanc, elle virevolte dans l’espace souterrain de l’être. Elle ne gigote pas, elle ne bouscule pas, elle ne crie pas. Non, elle danse comme la flamme des bougies dans les églises vides.

Elle est si vivante mais cachée. Nul ne peut se douter de sa présence. Au plus secret des replis de l’âme, blottie dans le chant de l’Esprit, dans la mélodie du sacré. Elle s’élance dans l’antre de l’Amour assoiffé, dans le creux d’un cœur habité.

 

Une petite danseuse auréolée d’un tutu blanc, comme la neige, comme le coton, comme le nuage, comme la pureté. La pureté blanche des pâquerettes au cœur jaune. Telle est Almaé, la danseuse intérieure.

Elle virevolte au gré des saisons du cœur. Elle est si gracieuse, en entrechats, en sauts de biche, en arabesques d’hirondelle. Elle danse comme on vole. Avec le même sourire à l’heure du printemps. Avec les mêmes transports les soirs d’été.

 

Quand vient l’automne pourtant, elle devient feuille emportée par le vent. Les bourrasques en tutu la cueillent pour la poser où elle ne voudrait pas. Mais il faut bien mourir. On meurt tous un jour. Ma danseuse intérieure n’y échappe pas qui s’en va s’allonger sur le sol avec la pluie.

 

C’est le temps des crépuscules et des couchers de soleil, des couleurs ocre et rouille. Elle danse alors dans le cœur d’une larme. Je la vois tourner dans sa transparence jusqu’au chagrin sans mesure et sans fin.

Puis vient l’hiver, l’hiver tout blanc, enseveli dans le froid. Les pieds gelés, le visage rouge. Elle valse en tutu sous les réverbères de glace, toujours dans la pureté, toujours en cristal comme les flocons, comme le verre, comme nos pleurs sur nos bitumes gris.

 

Quel contraste saisissant, cette petite danseuse au milieu des flocons de nos amours, dans le centre de nos deuils.  Avec ses pointes douloureuses, elle tournoie en carrousel pour étourdir sa peine. Si seulement je pouvais me fondre en amnésie dans la poudreuse et le gel !

 

Oublier l’amour qui meurt toujours un peu, se perdre sur la scène de nos vies mystères, puis danser, danser, danser, comme le vent dans les feuillages, comme les saisons qui passent, comme une infinie rengaine. Oublier, danser puis se perdre, c’est tout pareil.

Danser comme on aime. Comme on vénère. Comme on se donne, se donne, se donne. Toujours. Sans jamais rien espérer que d’aimer. Encore et toujours. Danser, aimer, donner, c’est tout pareil.

 

Almaé s’immerge dans la chorégraphie du cœur. Elle a besoin, oh oui, si vous saviez comme elle en a besoin, de cette danse, de cette mélodie, de ses jambes à tourner, de ses bras à lever. La tête penchée, elle n’a plus qu’un métier : voler dans son désir. Dans ses amertumes et ses regrets, dans ses joies et ses allégresses saisonnières.

Une petite danseuse auréolée d’espérance dans le cœur de l’Amour sans fin, elle vit de foi, elle vit sans bien savoir pourquoi. Mais enfin elle vit.

 

La petite danseuse est un rubis, un diamant sous le soleil, elle traverse les temps éphémères. Un jour, je la verrai voler vers le ciel, avec les ailes des anges. Un jour peut-être…Mais pour l’instant, elle danse sans plus s’arrêter, sur la scène d’un cœur solitaire, dans un ballet magnifique, invisible. Seule sur une île intérieure.

 

— Est-ce que Dieu regarde quand je danse toute seule ?

Je lui souris. Je n’ai pas la réponse, ou plutôt si :

— Je crois qu’Il danse avec toi mais tu ne le vois pas.

 

C’est à son tour de me sourire. Debout dans l’enfance, elle me pend pour un sage comme si j’avais réponse à tout, comme si j’avais toujours raison, comme si j’étais dans les secrets du Très-Haut. Je n’ose la contredire, elle est si jeune encore, les mots sont importants à son âge, pour se construire et pour grandir mais aussi pour affronter la vie qui vient, qui ne fait pas que des cadeaux.

 

Almaé me regarde maintenant, je crois qu’elle comprend que j’ai de la peine. Elle vient pour m’embrasser, allez savoir pourquoi, sur le sentier, elle a croisé Lior. Alors forcément, son baiser, elle l’a oublié.

Lior signifie « lumière intérieure », « lumière intime ». Il est beau, neuf ans à peine lui aussi. Sur le haut du corps, il porte un justaucorps moulant tout blanc.  A ses jambes, il porte des collants assortis. Ses chaussons sont en toile couleur bleu nuit. Il est d’une allure féline et légère lui aussi.  Ce jeune garçon vient danser avec Almaé seulement par grande intensité du cœur. Il ne vient que lorsque la canicule de l’amour est à son apogée ou quand la tristesse a tout envahi dans les prairies de l’âme.

 

C’est pour ça, il s’amuse. Un peu facétieux, quoiqu’il arrive, il se doute bien que son arrivée est toujours plus ou moins inattendue. Il aime faire des surprises. Il adore ça. C’est un petit joyeux, d’un naturel très enfantin. Peut-être encore davantage que son amie Almaé.

Il est un peu comme les cloches des cathédrales qui ne sonnent qu’aux grandes occasions. Il vient uniquement pour les moments forts de la vie intérieure. Et alors, quelle beauté, quelle résilience et quel amour ! C’est une chorégraphie à deux, un duo magnifique autant qu’invisible.

 

Ils ne dansent plus, non, ensemble, c’est la fusion de l’âme et de la lumière, Almaé et Lior. La flamme et le vent. Le soleil et le souffle. C’est une extase à deux, des arabesques merveilleuses. A deux, ils s’élancent et s’étirent, ils bondissent et puis s’élèvent. C’est un chant incomparable. On dirait la partition au violoncelle d’une musique de Chopin.

Mon Dieu, Almaé et Lior, quand ils se tiennent la main pour orchestrer leurs bonds et leurs chagrins, leurs joies et leurs courbes, rien n’est plus captivant. Ils ne font plus qu’un. Un seul être dans l’Amour, un seul être dans le feu, un seul être dans le vent. Dans la tendresse ou bien le deuil. Tout dépend.

 

Je vous l’ai dit, Lior ne vient qu’aux grandes occasions, qu’elles soient tristes ou joyeuses, c’est alors seulement qu’il arrive. C’est pour ça, quand ils dansent ensemble à l’intérieur du cœur, j’ai quelquefois le corps en douleur. Quand de telles émotions vous étreignent, le corps pâtit toujours un peu. Le cœur surtout. On dirait des extrasystoles en tutus, des arythmies en sauts de biche, des pirouettes enfantines.

Alors voilà, vous connaissez mes deux enfants, mes deux rêves, mes deux petits, tout en beauté, tout en innocence et en pureté. Ils sont les émotions, les mouvements de la vie, les humeurs intérieures.

 

Maintenant vous savez. Je vais vous raconter leur histoire. Je leur dois bien ça. Ils sont le charme premier, le point de départ en guérison, l’espérance au présent, la boussole vers l’Amour. Ils sont le reflet de l’amour qui mène vers l’Amour.

 

Lior m’interpelle :

— Est-ce que la tristesse peut devenir belle quand on la danse ?

— Peut-être bien. En tout cas, elle inspire ma plume et c’est déjà beaucoup.

Il opine de la tête.

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