Un An

Un An

 

La femme m’a regardé bien dans les yeux, elle a dit : « Un an, il vous faut un an ». Un an pour quoi faire ? « Un an pour faire votre deuil ».

La fameuse phrase : « Faire son deuil » comme on fait un bouquet, comme on fait un tricot ou un chemisier, comme on fait un cent mètre.

 

Un an.

C’est si court, c’est si long, un an.

 

Le manque va et vient comme un moineau fait son nid, sans le savoir, l’oiseau fait son deuil.

La mer creuse un sillon dans le sable, elle trace une grande rigole.  Elle fait son deuil également.

La plaie se referme, s’ouvre à nouveau, elle forme une cicatrice. Elle fait son deuil aussi.

Finalement, on est si nombreux à le faire. Non ?

 

Je regarde autour de moi. Les voitures du parking en l’absence de place, les arbres privés de moineaux, les maisons sans locataires, les mains sans amis, les jardins sans roses, les yeux sans regard.

C’est fou, je crois que tout le monde est en deuil, à le faire, à le défaire, à le refaire.

 

Un an. Juste un an.

 

J’écoute : des mots sans retour, des musiques sans amour, des joies sans partages, des pleurs sans amis, des saisons sans soleil.

C’est la privation partout. Ce soir, le dénuement m’éclabousse. J’en crève de tant de vides autour. La terre est un grand trou. Comment fait-on son deuil ? Le monde n’a pas l’air de bien savoir.

Je respire l’air sans parfum, je remarque le diner sans invités, le vase sans les fleurs, les plantes sans eau, ton cœur sans moi.

Partout, où que mes yeux se posent, c’est la même indigence. On se manque, on se rate, on se cherche, on se perd. On se croise, on se frôle, on se re perd. Puis on se perd encore. On ne fait que se perdre.

 

Un an.

 

Tout fait son deuil, toujours, partout. C’est la fête du deuil en toute saison, l’été sans soleil, l’hiver sans neige, le téléphone sans un appel, sans un mot. J’en crève, oui, même les écrans font leur deuil.

Je ne l’avais jamais remarqué, mais à bien y regarder, tout le monde le fait.

Le jour sans ta voix, le papier sans tes mots, l’écran sans tes courriels, ma prière sans exaucement.

Tout fait défaut, tout le monde attend. On supporte, on patiente. On a tout le temps du manque pour ça. Toute la vie est un champ plein de trous. Oui, pleins de trous qu’il faut enjamber ou bien tomber dedans.

 

Un an, elle a dit, un an.

 

Je voudrais tuer la mort et sa robe de deuil. Je voudrais tuer le deuil avec son goût de mort.

C’est vrai, je n’y avais jamais prêté attention, mais, dans le fond, tout est mort déjà.

J’aimerais affamer la famine et le manque, j’aimerais crever la disette et l’absence. J’aimerais mais comment le pourrais-je, boucher tous les trous. Que tous meurent eux aussi, avec mes pelletées de terre.

La terre au trou béant. Comme une tombe et moi dedans.

 

Un an, elle a dit, il faut un an.

Un an. Juste un an. Qui le sait ? Qui dit vrai ?

 

Mon Dieu, Un An !

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