Le Nid

Le Nid

 

"Ce qui est beau dans les nids, ce n’est pas qu’ils soient pleins, c’est qu’ils soient faits pour accueillir. »  Christian Bobin

 

— Où étiez-vous ce matin ? Je vous cherchais.

— Où j’étais ? Assise ici, au même endroit que maintenant, sur ce banc, au pied de cet hêtre immense. C’est là que la catastrophe s’est produit.

— Que faisiez-vous ?

— J’écoutais un peu de musique dans mes écouteurs. Les gens parlent trop fort autour de moi. C’est ma façon à moi de m’isoler.

— Et alors, vous lisiez aussi ?

— Pas du tout, je regardais les oiseaux en train de fabriquer leur nid. C’est très beau à voir.

Le jeune adolescent qui m’interroge est mon voisin. Il s’assoit près de moi :

— Vous avez l’air bien triste. Que s’est-il passé ?

— Est-ce que vous savez comment les oiseaux font leur nid ?

— Racontez !

— D’abord, les moineaux doivent choisir leur endroit. Il s’agit d’être précis vous comprenez. Donc ils prennent le temps qu’il faut. Un abri au creux d’un tronc ? Sur une branche ? A même le sol ? J’imagine qu’ils doivent délibérer au conseil des oiseaux.

— Pourquoi pas !

— Exactement. Que sait-on du langage de ces petites créatures ? Finalement, si peu de choses en vérité. En tout cas, ce qui est certain c’est qu’ils doivent trouver un lieu à proximité des ressources alimentaires dont ils auront besoin pour nourrir leur progéniture.

— Je pense aussi qu’ils doivent se protéger des éventuels prédateurs.

— Bien sûr, c’est évident. Une fois, non loin d’ici, j’en ai vu qui construisaient leur nid dans l’anfractuosité d’un petit mur de pierres.

— Ils sont ingénieux.

— Certes. Mais là n’est que la première étape de leur travail. Vient ensuite le moment de la construction en elle-même. C’est un vrai labeur, une œuvre d’artisan plutôt.

— Ah oui ?

— Pensez-donc, ils procèdent à la collecte des matériaux qui leur seront nécessaires : brindilles, plumes, herbes sèches, mousse, racines, feuilles. Tout ce qui peut servir à bâtir leur nid.

— C’est vrai. J’en ai même vu qui avaient déposé dans leur nid des morceaux de tissus ou des papiers laissés là par les humains.

— Oui, comme on dit : « ils font feu de tout bois ».

— Et comment font-ils ensuite ?

— Après quoi, ils utilisent leur bec et leurs pattes, ils créent une structure stable, capable de résister au vent, à la pluie et assez chaud pour que les petits s’y sentent bien. Le plus souvent, ils font un nid en forme de tasse, une forme en creux si vous préférez.

— Oui, c’est étonnant.

— D’ailleurs souvent je constate la perfection de leur ouvrage : c’est un vrai travail d’architecte.

— Vous avez raison. Ils sont doués. L’instinct je suppose.

— C’est un vrai mystère cette aptitude naturelle à fabriquer un nid.

— C’est vrai, je suis d’accord.

— On ne s’émerveille pas assez.

Je soupire et je rajoute :

— Enfin, vient la dernière étape : après tous ces allées-retour à collecter puis à bâtir leur nid, ils aménagent l’intérieur, il faut que ce soit le plus doux possible pour recevoir les petits qui naitront : du duvet, de la plume, des fibres végétales très fines.

— Ah oui, quand j’étais môme, nous avions une volière. Mes parents mettaient à disposition des oiseaux du coton hydrophile pour leur nid.

— Les oiseaux dans la nature en font autant, à défaut de coton, ils trouvent souvent de la mousse et des plumes. Il faut de la douceur pour accueillir les œufs.

— Ma mère dirait : « Pour assurer leur confort et leur sécurité thermique ». Elle avait lu ça dans un bouquin.

— C’est exactement cela. Selon les espèces les nids se situent dans des endroits bien différents. J’ai lu par exemple que les rouges-gorges préféraient les trous dans les murs tandis que les merles noirs optaient davantage pour les buissons.

— C’est intéressant.

— Oui.

Je soupire. Je reste en silence. Je sens les larmes monter. C’est plus fort que moi. Mon voisin qui m’interroge s’en aperçoit. Il demande :

— Et alors, qu’est-ce qui s’est passé ?

— Ce qui s’est passé ? Le nid sur la branche de l’hêtre avait l’air bien solide, j’observais les allées et venues des petites mésanges depuis un bon moment. Perdue dans mes pensées, elles me distrayaient de mon chagrin.

— Vous avez de la peine en ce moment ?

— Oui, beaucoup de peine. Je pleure souvent.

— Pourquoi ?

— Un amour perdu. Rien de plus. Un amour sans retour. Un amour pour rien.

Mon voisin ne dit plus rien. Je reste un moment dans le silence. Je revis la scène, celle de ma contemplation des oiseaux en train de fabriquer leur nid. Ils me distrayaient. Je ne voyais plus le temps passer. Je sentais que mon cœur se cicatrisait un peu devant leur ingéniosité. Ils m’aidaient à me quitter moi-même.

— Alors, que s’est-il passé ?

Mon jeune adolescent de voisin est entêté, il veut connaitre la suite. Nous avons créé un lien d’amitié de plus en plus fort ces derniers mois.

— Les oiseaux me consolaient. Quand on regarde les oiseaux voler dans le ciel, on éprouve toujours un peu plus de paix, vous avez remarqué ça vous aussi ?

— C’est pas faux.

Je regarde le sourire de ce jeune homme attentif à ma douleur.

Il me répète sa question :

— Et alors ?

— Les petites mésanges et les merles m’apportaient un peu de soulagement. J’étais tellement en train de les regarder, que j’avais l’impression de bâtir mon nid avec eux. Les plumes, les brindilles, les feuilles. Ils étaient comme des petits anges à l’intérieur de mon cœur, à fabriquer de la douceur, un peu de moelleux aussi. Sans compter leurs bruissements d’ailes, je sentais leur souffle léger me toucher un peu, là, au-dedans.

En même temps que je parlais, je pointais du doigt ma poitrine. Le garçon répondit :

— Ah oui. C’est beau ce que vous dites.

— Peut-être.

— Bien alors, s’ils vous consolaient pourquoi vous pleurez ? Dites, pourquoi ?

J’essuie mes larmes avec un mouchoir en tissu que j’avais gardé dans ma main.

— J’étais bien. J’étais dans le nid avec les futurs moinillons, j’étais dans mes rêves, à construire un lieu plein de joie, de tendresses et de douceur. Un endroit rien qu’à moi tout imbibé d’amour, de caresses et de parfum.

— Avec votre amour ?

— Oui, avec mon amour rêvé. Avec un amour dans ma vie. Un amour qui remplit les nids, les creux, les cœurs ouverts.

— Il est parti.

— Oui.

Je ne peux m’empêcher de pleurer devant la beauté du regard de cette âme déjà poète et mature :

— Je ne comprends pas. Si les oiseaux vous consolaient, pourquoi ces larmes alors ? Ils ne vous ont pas consolé en fait.

— Une bourrasque est arrivée d’un coup.

— Et alors ?

— J’étais dans la chaleur de la mousse, au fond du nid, je respirais l’odeur de l’herbe humide, le soleil m’inondait de sa lumière. Avec les moinillons, j’étirais mes petites ailes, sentant l’air chaud passer entre mes plumes imaginaires

Je déglutis pour me ressaisir :

— Et alors le nid est tombé, un bruit sec sur la terre m’a brutalement fait sortir de mes pensées. La pluie est arrivée, les gouttes froides tout d’un coup pleuvaient sur mes mains. J’ai vu le nid en partie détruit sur le sol, quelques brindilles s’envolaient elles aussi.

— Ah, je crois que je vous comprends maintenant. Vous n’êtes pas triste à cause du nid. Vous l’êtes parce qu’il s’est envolé devant vous, tout comme votre amour, c’est cela ?

— Le vent emporte les nids. Il a emporté le mien aussi. Les oiseaux sont partis en quête d’un autre endroit je suppose.

Soudain, le portable de mon jeune voisin s’est mis à sonner, je l’ai vu partir en me faisant un grand signe de la main accompagné d’un clin d’œil.

Je suis restée là, face à l’Hêtre géant, sans plus de nids ni de merles chanteurs, ni plus de voisin non plus. On se ressemble à présent le vieil arbre et moi.

 

Le vent a emporté mon nid.

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