Je suis le clocher sans cloche

Je suis un clocher. Droit. Fier. Haut. Mais sans cloche. Depuis longtemps.
Je n’ai plus de voix. Mais j’ai encore un geste. Celui de désigner le ciel. Je suis doigt dressé dans l’azur. Je suis veilleur sans alarme. Je suis gardien sans tambour.

J’ai vu les saisons passer, les arbres grandir, les maisons se vider, les hommes courir. J’ai entendu le silence. Et j’ai persisté. Quand Christie a relevé la tête pour me regarder, j’ai senti son souffle déborder d’Espérance. Elle me voyait encore. Elle me reconnaissait. Alors j’ai souri.

« Je suis une chapelle en ruines, une église sans messe, une nef sans fidèles. Mais je tiens debout, car mes pierres savent encore prier. » (Demeure de l’Ange)

Mes murs fissurés contiennent toujours une force. Ils gardent la mémoire d’un feu sacré, d’une présence qui ne s’efface pas. Comme les cicatrices d’un visage, mes failles racontent la beauté de la persistance.

Je suis l’ami de ceux qui n’ont plus de voix. « Les pierres crient quand les hommes se taisent. » (Demeure de l’Ange)

Ma mission est là : parler sans parler, chanter sans chanter, dire au monde qu’il y a plus haut, plus vaste, plus doux. Le silence n’est pas absence, il est promesse.

Quand le vent passe à travers mes fenêtres béantes, j’entends une mélodie secrète. Et je crois qu’un jour, une main viendra me relever. Qu’un jour, l’espérance cachée dans le cœur des passants se rassemblera dans ma nef muette. Alors je ne serai plus seulement clocher sans cloche, mais témoin de la Résurrection.

Ô Joie ! Mon désir a été exaucé, l’histoire ne s’arrête pas à mon silence !

Un jour, on m’a rendu ma cloche. Lourde, brillante, suspendue de nouveau dans l’air pur. Quand son battement a jailli, les enfants ont levé la tête, les anciens ont fermé les yeux, et les passants ont ralenti leur pas. On l’entendait résonner au loin, comme un cœur retrouvé.

La joie a couru de maison en maison, et chacun a su qu’il n’était pas trop tard pour renaître. Moi, clocher jadis muet, je sonne désormais la vie, et chaque tintement dit aux hommes :

l’Espérance n’a jamais quitté vos murs.