Le lien avant la case

Le lien avant la case

 

Je sors d’une séance où j’aurais voulu simplement parler de ce que je vis mais où je me suis retrouvée ramenée à ce que je “suis”, du moins selon une étiquette médicale.

 

J’évoquais la naissance d’une nouvelle relation, le tumulte des émotions, l’espoir fragile de retisser du lien après une longue solitude. Rien d’extraordinaire, en somme : une femme qui retrouve le goût de la rencontre, la curiosité de l’autre, la joie inquiète de s’ouvrir à nouveau.

 

Mais dans le regard de ma psy, tout cela a semblé immédiatement glisser dans une case : celle des “intérêts restreints” propres à l’autisme. Comme si l’intensité d’un attachement, la manière d’en parler, d’y penser souvent, ne pouvait être que le reflet d’un critère diagnostique.

 

Pourtant, ce que je cherchais à partager n’avait rien d’un symptôme. C’était une expérience humaine, traversée de solitude, de désir, d’incertitude. Bref, de vie.

 

Quand j’ai tenté de dire que je me sentais enfermée dans ce prisme, la discussion s’est tendue. Elle a entendu dans mes mots une critique de sa compétence, une remise en cause de son rôle.  Ce qui était loin d’être mon intention car depuis deux ans, je la trouvais plutôt compétente cette psy.

 

Elle m’a rappelé que son travail est de poser des diagnostics, et m’a lancé : « Je ne suis pas votre amie. »
Je ne lui demandais pas de l’être. Je demandais simplement une écoute qui accueille la personne avant la catégorie. Une écoute où le lien thérapeutique ne s’oppose pas au lien humain.

 

C’est là, me semble-t-il, que se joue quelque chose de fondamental.

 

Quand la parole du patient devient sans cesse un terrain d’analyse plutôt qu’un lieu de rencontre, la thérapie perd sa chaleur. Elle devient un protocole. Or, même la plus rigoureuse des démarches cliniques ne peut se passer de ce que j’appellerais une présence vivante : ce moment où l’on se sent reconnu, entendu, non pas disséqué mais rejoint.

 

Je ne nie pas l’utilité du diagnostic. Il peut éclairer, offrir des repères, ouvrir des portes. Je suis loin de le dénigrer. Il m’a beaucoup aidée. Mais lorsqu’il devient un prisme unique, il appauvrit la vision de l’humain. Il fait oublier que nous sommes d’abord des existences en mouvement, faites d’histoire, de fragilité, de désir de sens.

 

Ce n’est pas la première fois que je suis confrontée à ce type de réaction. Un seul mot, une seule question sur le savoir du sachant médical et pouf ! Cela est pris comme une attaque personnelle.

 

Entre le soignant et le soigné, il n’y a pas besoin d’amitié.

Mais il y a besoin d’un lien : celui qui permet à la parole de respirer, de circuler, de se risquer. Il fait partie du soin pour moi.

Peut-être que la vraie compétence d’un thérapeute se mesure moins à sa capacité de classer qu’à accueillir la vie, même quand elle déborde le cadre.

 

Il se trouve que j’avais décidé en me rendant à ce rendez-vous que j’allais cesser ces visites auprès de cette spécialiste. J’aurai préféré une fin plus conviviale. Au lieu de cela, je ne sais comment expliquer un tel déroulé, notre contrat thérapeutique vient d’être terminé d’une façon sèche, imprévisible et froide.

 

Tant pis. C’est bien dommage mais je n’ai pas à me sentir coupable. Je ne voulais qu’ouvrir au dialogue. C’est raté. Elle n’a pas compris ma demande et mon étonnement. Elle aura tout de même en main mes livres, mes quelques écritures, mes cadeaux…Ils seront la trace de mon passage dans son bureau et mon offrande

d’Adieu.

 

J’aurais préféré une fin plus douce. Je pense donc à présent, et de manière définitive, que je ne suis sans doute pas faite pour ce type de soin. Non, décidément, je ne peux plus compter là-dessus. Est-ce ma faute ?  Peut-être. Je ne suis peut-être pas accessible à ce type de soin. Ma personnalité sans doute...Un échec de plus.

 

Triste fin.

 

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